CHRISTOPHER PRIEST

mercredi 7 février 2024

 

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Extrait:
Disparition d’un grand de la sf britannique

 

IN MEMORIAM

 

CHRISTOPHER PRIEST

 

Égal, et relativement proche quant à ses recherches stylistiques de G. J. Ballard, ChrIstopher Priest nous a quittés le 2 février 2024, à l’âge de 80 ans.

 

Né le 14 juillet 1943 à Cheadle, dans le Cheshire, il publie sa première nouvelle, en 1966 dans le magazine Impulse et en 1971 son premier roman non traduit, Indoctrinaire, qui manifeste déjà ce qui caractérisera l’essentiel de son inspiration : le doute sur le vrai, le réel, l’identité, avec cet homme enfermé dans un labyrinthe et qui ne s’en sort que pour être livré à des interrogatoires incompréhensibles. Suit en 1972 Fugue for a Darkening Island, traduit chez nous par Le Rat blanc, qui manifeste un réalisme social et prospectif qu’on ne retrouvera que rarement dans son œuvre ultérieure : dans un futur proche, une guerre nucléaire a ravagé l’Afrique, avec pour résultat des millions de réfugiés “Afrim” déferlant sur l’Europe. Dans une Angleterre ravagée par la crise, les Loyalistes affrontent les Nationalistes tandis que, dans les banlieues, les milices blanches se barricadent, le récit étant en partie porté par un homme médiocre et raciste. En 2011, Priest est revenu sur cet ouvrage, y gommant certains passages qui, à l’époque, avaient pu le faire accuser de racisme, et (re)traduit sous le titre Notre île sombre.

 

L’auteur atteint la notoriété avec son roman suivant, Le Monde Inverti (Inverted World, 1974), qui s’ouvre sur une phrase devenue célèbre : «J’avais atteint l’âge de mille kilomètres». C’est Helward Mann qui parle, citoyen d’une ville en bois, dernière sur Terre, ayant la particularité de sans cesse avancer sur des rails afin d’atteindre l’Optimum, un point géographique en mouvement au-delà duquel le monde subi d’étranges distorsions. Avec ce roman raconté, pour perturber la perception, tantôt à la première, tantôt à la troisième personne, Priest met en place ce qui ne cessera de le préoccuper : la notion-même de réalité, changeante suivant l’identité de l’observateur. Une réussite éclatante.

L’auteur retrouve son univers avec Futur intérieur (A Dream of Wessex, 1977), où 39 hommes et femmes sous hypnose rêvent collectivement à ce que pourrait être un monde (britannique) futur. En 1981, avec La Fontaine pétrifiante (The Affirmation), ce n’est pas dans les rêves que Peter Sinclair se réfugie, mais dans une autobiographie qu’il a commencé à rédiger pour se retrouver lui-même. Mais, comme l’a bien dit Philip Roth, toute autobiographie comporte sa part de fiction : ici, elle déborde sur la création d’une Angleterre bis qui se transforme, sous la plume de Sinclair, en un semi d’îles, l’Archipel du rêve dont Priest affinera la description dans des ouvrages ultérieurs.

 

Jusqu’ au bout la même inspiration

 

Le Prestige (The Prestige, 1995) voit, à la fin du XIXe siècle, deux illusionnistes célèbres, Alfred Borden et Rupert Angier, se livrer une lutte sans merci pour savoir qui sera le meilleur, tout en s’admirant secrètement. Si Borden use classiquement du jumeau caché pour ses faux numéros de téléportation, Angier se rend aux États-Unis afin de rencontrer Nicolas Tesla pour lui demander de fabriquer une machine à téléporter. Le Prestige est un des meilleurs livres de son auteur : à preuve, l’ouvrage a été adapté au cinéma en 2006 par Christopher Nolan, film que l’auteur a adoubé, au point d’écrire le récit de son élaboration dans un long texte, Magie, histoire d’un film.

 

Citons encore La Séparation (The Separation, 2003), roman de guerre… mais à la sauce Priest, mettant à nouveau en scène des jumeaux qui, sportifs participant aux jeux olympiques de 1936 à Berlin, sont amenés à rencontrer Rudolph Hess, qu’ils retrouveront une fois la guerre déclarée et Londres sous le Blitz, quand ce dignitaire nazi se fera parachuter au-dessus Angleterre en mai 1941. En 2018, avec Conséquences d’une disparition (An American Story), Priest feint d’adopter des théories complotistes à propos du 11 septembre. Encore un jeu avec une réalité que le mathématicien Kyril Tatarov résume par : «Si des gens définissent des situations comme réelles alors elles sont réelles dans leur conséquences».

 

Christopher Priest a écrit une quarantaine de nouvelles même si, à ses dires, c’est une longueur qui ne convient pas à ses constructions complexes. On en trouve une demi-douzaine dans le Livre d’or que lui consacra Marianne Leconte en 1980, certaines d’entre elles reprises, avec d’autres, dans le recueil français original L’Été infini (2015).

La réussite exemplaire de la plupart de ses livres dont son ultime, Airside (2023) reste non traduit à ce jour, qui nous plongent dans un univers autre nous permet de s’intégrer à ses rêves, jusqu’à, pour notre plus grand plaisir, s’y perdre. En cela, Christopher Priest est et reste indispensable.

 

Jean-Pierre ANDREVON