THE SLIT-MOUTHED WOMAN
La figure du fantôme revanchard aux longs cheveux sales, devenue indissociable du genre horrifique asiatique, est menacée ! Les producteurs semblent avoir compris que le filon est définitivement épuisé. Pour tenter de reconquérir le cœur de leur audience, ils se mettent donc à la recherche d`un digne successeur. Du coup, de plus en plus de croquemitaines issus des légendes urbaines font leur apparition…
Puisant dans le répertoire local des légendes urbaines, celle de Kuchisake Onna (littéralement « la femme à la bouche tranchée ») a pour origine une rumeur née en décembre 1978, les versions variant en fonction des régions du Japon. La plus courante raconte l`histoire de la femme (ou de la maîtresse) d`un samouraï. D`une beauté incroyable, elle attisait la jalousie de son mari ou de son amant ; surtout qu`elle est dite ne pas s`être privée de fréquenter d`autres hommes. Un jour, le samouraï, perdant son sang-froid, lui aurait tranché la bouche de son épée d`une oreille à l`autre. Une autre version – plus récente – fait office d`une intervention chirurgicale qui aurait mal tournée.
Depuis, la femme est dite hanter les grandes villes, sa bouche cachée derrière un masque. En rencontrant enfants ou adolescents, elle leur pose la question de savoir si elle est belle. En lui répondant « Oui » ou « Non », elle va invariablement enlever son masque pour ensuite rattraper ses victimes terrorisées et leur défigurer pareillement le visage à l`aide d`une grosse paire de ciseaux ou d`un sécateur. La seule chance de s`en sortir est de lui répondre qu`elle est « ordinaire ». Si l`interlocuteur manque de présence d`esprit, il lui reste plusieurs solutions durant sa fuite: soit lancer des bonbons (des bekk ame), soit se réfugier dans un magasin de disques, soit prononcer le mot « pommade » (elle est supposée ne pas pouvoir supporter l`odeur de ce produit); en revanche, il faut faire vite, cette créature étant capable de courir un 100 mètres en moins de trois secondes !
Rapidement répandue dans tout le Japon, la légende a été au plus fort en 1979, mais demeure toujours d`actualité de nos jours. Outre des citations régulières dans différents films (Ring, ou l`animé Pompoko), l`histoire a plusieurs fois été portée à l`écran. La première version de Kuchi-sake-onna date de 1994, puis – plus récemment – a été réalisé un pinku (film érotique), Kannobyoto Nureta Akai Kuchibiru par Takuaki Hashiguchi.
C’est à présent au tour du réalisateur Koji Shiraishi de s`y coller. L`auteur des Ju-on et Blair Witch Project et Noroi s`adjoint une nouvelle fois les services de son fidèle co-scénariste Naoyuki Yokota pour imaginer une vision toute personnelle de la femme au sourire plus large que nature.
Le film est divisé en deux parties. La première détaille la calme ville provençale de Midoriyama et ses habitants. Des couleurs sépia fleurent bon la campagne ; tout semble au mieux dans le meilleur des mondes. Rien ne semble pouvoir perturber la quiétude de la bourgade, ni les chamailleries entre enfants, ni cette rumeur de plus en plus persistante de la présence menaçante d`une femme accusée d’enlever et de séquestrer de jeunes enfants. Shiraishi réussit merveilleusement à traduire en images ce qui n`est à l`origine qu`une simple légende urbaine issue de l`imaginaire de quelques enfants, avant qu`elle ne prenne vie.
La soudaine matérialisation du croquemitaine est donc d`autant plus spectaculaire, que le spectateur aura eu le temps de s`imaginer sa propre version des faits. Cette seconde partie vire rapidement au pur film d`horreur au final grand-guignolesque. Slit-Mouthed Woman n`épargne rien au spectateur, allant même jusqu`à montrer plusieurs meurtres particulièrement graphiques des jeunes enfants. Une vision assez insoutenable, qu`il est impossible de voir ailleurs qu`au cinéma asiatique. Le film n`est pas seulement un film d`horreur ultra-efficace, mais se dédouble d`un véritable message sous-jacent.
Koji Shiraishi se joue de la notion même des apparences trompeuses – notamment par le biais de son personnage de croquemitaine. Jeune et belle femme, aux longs cheveux ondulés entourant un fin visage, elle ne dévoile finalement sa « monstruosité » qu`en enlevant son masque. De même que certains autres personnages ne sont pas ce qu`ils paraissent être à premier égard.
Au-delà de la légende urbaine, les auteurs abordent un sujet bien plus réel : celui de l`abus des enfants et de la violence parentale. Et de mettre en parallèle une violence exagérée (le final se conclut dans un incroyable bain de sang grand-guignolesque) et celle – bien plus brutale – d`une paire de gifles cinglant les joues d`un enfant maltraité.
Le film gagne alors une profondeur inattendue… et inhabituelle de ce genre de productions. Le climat en devient d`autant plus oppressant, dégageant un malaise palpable. Au cours des projections aux récents Marchés du Film de Berlin et au Festival d`Udine, les gens quittaient la salle non pas pour l`effusion de sang, mais pour avoir été bousculés dans ce qui reste encore un tabou dans la société contemporaine. Les auteurs se servent donc intelligemment d`un genre d`exploitation pour dénoncer un fléau grave, celui de l`abus des enfants, souvent caché derrière des façades trompeuses. Un rare cas de réussite par un réalisateur réellement talentueux du genre.
(Kuchisake Onna) Japon, 2007. Réal.: Shiraishi Koji. Scén.: Shiraishi Kojo, Yokota Naoyuki. 1h30. Avec: Kato Haruhiko, Sato Eriko, Kawai Chiharu, Kuwana Rie, Matsuzawa Kazuyuki Sortie (japonaise) : 17 mars 2007.
Bastian Meiresonne