ANDRÉ RUELLAN DANS LES ÉTOILES
Il faisait partie de paysage de la SF (et du fantastique) français depuis les années 50, où il fit, en 1955, une entrée fracassante, sous le pseudonyme de Kurt Steiner, dans la célèbre collection Angoisse du Fleuve noir, où il publia pas moins de 22 volumes en sept ans. Né le 7 aout 1922 à Courbevoie, Ruellan/Steiner est mort le 12 novembre 2016 à l’âge honorable de 94 ans.
Rejeton d’une famille plus que modeste — son père était soudeur, sa mère faisait des ménages — André Ruellan hérite d’une solide idéologie anarchisante et athée qu’il gardera toute sa vie. Un temps instituteur, il se lance dans l’écriture avec deux romans signé Kurt Wargar (dont « Alerte aux monstres » chez un petit éditeur), avant d’être adopté par le Fleuve où, donc, sort son premier Angoisse, « Le bruit du silence», première histoire de zombies française, se plaisait-il à rappeler, et qui fit… grand bruit, car s’y remarquait une écriture précise et très cinématographique peu courante dans la collection. Suivront, entre autres, et parmi ses meilleures publications, « Pour que vive le diable », « Fenêtres sur l’obscur », « Le Seuil du vide », tous romans qui se signalent aussi par l’originalité des thèmes abordés. Mais la littérature, on le sait, ne nourrit pas son homme, et Ruellan entreprend en même temps des études de médecine, ce qui va l’amener à exercer ce noble sacerdoce 12 ans durant, de 1960 à 1972. Ce qui ne veut pas dire que le démon de l’écriture l’avait abandonné puisqu’il publie, en 1963, un délicieux opuscule titré « Manuel du savoir-mourir », bel exercice d’humour noir signé cette fois de son nom et illustré par Topor, qu’il avait connu en rejoignant un temps le mouvement Paniques. Entré en SF, toujours au Fleuve, et toujours sous le pseudonyme de Kurt Steiner avec quelques romans dont le binôme « Aux armes d’Ortog » et « Ortog et les ténèbres », notre homme accède enfin, en 1973, à la prestigieuse collection Ailleurs et demain de chez Laffont dirigée par Gérard Klein, avec « Tunnel », une punk-fiction survoltée. Son mauvais esprit s’exerçait depuis quelques temps dans les pages de Hara-Kiri, où il donnait de courtes nouvelles satiriques signées cette fois Kurt Dupont. N’empêche que ses textes vont se faire rares (signalons en 84 « Mémo », histoire temporelle dickienne qui sera son dernier grand roman), car une autre activité lui était depuis peu tombé sur le dos, le cinéma.
C’est en 1969 qu’il cosigne en effet son premier scénario, pour Pierre Richard qu’il avait connu au théâtre, avec « Le Distrait », ce qui lui permet une apparition en cameo chère au cœur des fans, alors qu’il fend la foule pour porter de l’aide à Richard tombé dans les pommes : “Vous êtes médecin ?” lui demande un quidam. “Non, maître-nageur.” Il récidivera avec le grand blond pour « Les Malheurs d’Alfred », avant LA rencontre qui décidera de sa postérité dans le 7e art, Jean-Pierre Mocky en personne, avec qui il partage fibre anar et humour du plus beau noir. Une collaboration qui commence en 1974 avec « L’ombre d’une chance », que suivra en 1975 « L’Ibis rouge », dernier film de Michel Simon et adapté du roman de Fredric Brown, « Ça ne se refuse pas », un auteur qu’il retrouvera en 2001 pour « La Bête de miséricorde ». En tout, une douzaine de scénarios jusqu’à « Colère » en 2010, un téléfilm qui, l’âge venant, sera son dernier pour Mocky. Mais Ruellan travailla aussi avec Michel Berny, Jérôme Laperrouzaz (« Hu-Man ») et surtout Alain Jessua, avec il signe en 1978 puis 82 « Les Chiens » (qu’il novellisera l’année suivante) et « Paradis pour tous », deux trop rares entrées dans un fantastique en demi-teinte, à l’occasion de satires sociales bien venues qui lui permettent de côtoyer, pour le premier, Gérard Depardieu et, pour le second, son compère Patrick Dewaere, dont ce sera malheureusement le dernier film. Ceci sans oublier Jean-François Davy, avec qui il adapte en 1974 Le Seuil de Vide, un de ses meilleurs Angoisse. Un film qui amène inévitablement la question : pourquoi aucun autre de ses romans dans la collection, tous très cinématographique, n’a-t-il attiré l’attention d’un cinéaste ? Il y a là une mine, toujours ouverte et qui ne demande qu’à être exploitée. Espérons que, des étoiles où désormais il navigue avec son petit sourire narquois, André Ruellan aura un jour ou l’autre la satisfaction de voir son alter ego Kurt Steiner revenir sur les écrans fantastiques.
Jean-Pierre Andrevon
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Notre photo : André Ruellan et Jean-Pierre Mocky en 1985.
filmographie partielle
· 1969 : Le Distrait de Pierre Richard
· 1971 : Le Seuil du vide de Jean-François Davy
· 1979 : Les Chiens d`Alain Jessua
· 1982 : Paradis pour tous, d`Alain Jessua
· 1989 : Divine Enfant de Jean-Pierre Mocky
· 2004 : Touristes, oh yes !, de Jean-Pierre Mocky
· 2007 : Le Bénévole, de Jean-Pierre Mocky
· 2010 : Colère de Jean-Pierre Mocky (téléfilm)