C’était une figure, c’était aussi une voix, inimitable. Pierre Tcherniakowski, dit Pierre Tchernia, né le 29 janvier 1928 à Paris, fils d’Isaac Tcherniakowski, un ingénieur en chauffage central d’Odessa (Ukraine) ayant fui la misère, et d’Aimée Dufour, couturière, est mort paisiblement dans la nuit du 7 au 8 octobre dernier, au milieu des siens, dans sa retraite de la région parisienne. Il avait 88 ans. C’était avant tout «Monsieur Cinéma», grâce à l’émission si populaire, et aux invités prestigieux, qu’il anima de 1967 à 1980. Mais, entré à l’ORTF dès 1949, il coanime Cinq Colonnes de la Une et participera, aux côtés d’Arthur, à l’émission Les Enfants de la télé de sa création de septembre 1994 jusqu’en juin 2006, date à laquelle il prendra sa retraite. Mais la carrière de cet amoureux du cinéma, de la BD aussi (il fut un grand ami de Goscinny avec qui il collabora souvent) est également scénariste et réalisateur. À ce premier poste, il participa à nombre d’adaptations de bandes célèbres conçues pour Pilote, live ou en dessins animés, d’ «Astérix et Cléopâtre» en 1966 jusqu’à « Astérix et les indiens » en 94, faisant aussi des voix, comme dans « Astérix et les Vikings » en 2006. Mais la réalisation le tente, qu’il mettra en pratique d’abord pour le cinéma, en cosignant avec Robert Dhéry « La Belle Américaine » en 1961, puis pour la télé avec une série d’adaptation de nouvelles de Marcel Aymé, comme «Lucienne et le boucher» (1984), «L’huissier» en 91 et quelques autres dont, en 1977, «Le Passe-muraille», avec Michel Serrault, qui deviendra son acteur de prédilection et reprend ici le rôle que Bourvil tenait en 1951 dans l’adaptation de Jean Boyer.
Pour le cinéma, il réalise en 1973 « Les Gaspards », sur un scénario de Goscinny, qui reste son meilleur film : alors que Paris est défiguré par les chantiers ouverts par le ministre des Travaux Publics désireux de moderniser la capitale, une petite communauté de résistants, les Gaspards (Rats, en argot des fortifs), dirigée par le nobliau Gaspard de Montfermeil (Noiret) résiste, réfugiée dans les souterrains. Beaucoup de poésie, et une solide graine d’anar qui ne le quittera jamais, qu’on trouve aussi dans son premier film, « Le Viagier », l’année précédente. Déjà sur un scénario de Goscinny, où il emploie, en vieillard qui refuse de mourir, Serrault qu’on retrouve en 1979 dans « La gueule de l’autre » où, en pleine campagne électorale, le politicien Martial Perrin, Président du “parti centriste des Conservateurs Indépendants Progressistes” apprend l`évasion de Richard Krauss, un ancien mercenaire qui s`est promis de tuer tous ceux qui l`ont fait condamner dix ans auparavant. Dont Perrin, qui n’a plus qu’à se trouver un sosie pour prendre sa place. Ce sera son cousin, Serrault s’attribuant les deux rôles. Dans « Bonjour l`angoisse » (1988), cette fois sur un scénario de Gotlib, Serrault, employé dans une entreprise spécialisée en alarmes, coffres-forts et autres dispositifs de sécurité se voit mêlé à un braquage… ourdi par ses propres employeurs. La SF qu’il aimait aussi est enfin illustrée en 1982 par «Le Voyageur imprudent» ou «L`Habit Vert», avec le tout jeune Thierry Lhermite en Pierre Saint-Menoux et Jean-Marc Thibault en professeur Essaillon cloué sur sa chaise roulante, très timide adaptation du chef-d’œuvre de Barjavel, où les sauts dans le passé, depuis l’an 1943, se résolvent à quelques brigandages, dont un amusant vol de bijoux à l’Opéra en 1891. Pierre Tchernia a pu user ici de ce qui était interdit à Barjavel : montrer au voyageur le “futur” de 1982 grâce à des bandes d’actualité. Au total, et toutes activités confondues, une belle carrière. Mais surtout un personnage qui, grâce à sa faconde et sa simplicité, sut gagner le cœur du public. Ce qui est bien l’essentiel et plus que tout autre chose, restera.
Jean-Pierre Andrevon