STAN WINSTON
(1946 – 2008)
Steven Spielberg, James Cameron, John McTiernan, Michael Bay, Tim Burton, Joe Dante, Tobe Hooper… On ne compte plus les réalisateurs de prestige ayant confié à Stan Winston la conception des créatures issues de leur imagination fébrile. Cyborgs, dinosaures, vampires et extraterrestres n’ont plus de secrets pour Stan Winston, dont la prolifique carrière est une véritable success story hollywoodienne.
Né le 7 avril 1946 à Richmond, en Virginie, Stan Winston se destine au départ à une carrière de comédien. Son diplôme d’étudiant en poche, il s’installe à Los Angeles mais ignore comment percer dans le métier. En attendant un hypothétique emploi d’acteur, il décide de mettre à contribution ses talents de dessinateur et de sculpteur en se formant aux maquillages, sous la tutelle du légendaire Robert Schiffer (Le Magicien d’Oz, Le Bossu de Notre-Dame, Cléopâtre). Il décroche dans la foulée son premier travail professionnel sur le téléfilm «Gargoyles», que réalise Bill Norton en 1972. C’est un départ en fanfare pour Winston, car le voilà chargé de la création de plusieurs créatures ailées ainsi que des prothèses appliquées sur le visage du comédien Bernie Casey, interprète de la gargouille principale. Si ce petit conte d’épouvante n’a rien de transcendant, il permet à notre maquilleur débutant de remporter un Emmy Award, aux côtés d’Ellis Burman Jr et Del Armstrong, et de découvrir du même coup sa vocation. Car en concevant les créatures légendaires de «Gargoyles», Winston comprend qu’il tient là le meilleur moyen de donner vie à des personnages hors du commun. Or c’était justement sa motivation principale, lorsqu’il visait le métier d’acteur.
L’année suivante, il a l’opportunité de travailler avec le grand Rick Baker sur un autre téléfilm, «The Autobiography of Miss Jane Pittman» de John Korty. Pour ce biopic retraçant la vie d’une ancienne esclave noire qui se confie à un journaliste new-yorkais, Winston et Baker sont chargés d’appliquer sur le visage de la comédienne Cicely Tyson des prothèses vieillissantes lui permettant d’atteindre l’âge canonique de cent dix ans. Salué par la critique, ce téléfilm fait remporter à Winston son second Emmy Award. Désormais admis dans la cour des grands, notre homme se voit aussitôt affublé d’une étiquette imprévue : spécialiste du maquillage spécial sur les acteurs noirs ! Dès lors, le voilà au travail sur les vieillissements des acteurs principaux de la série «Racines», sur les métamorphoses du savant de Dr Black and Mr Hyde (version blaxploitation du roman de Robert Louis Stevenson), et sur les changements d’apparence de Diana Ross interprétant trois rôles historiques dans le téléfilm «An Evening with Diana Ross» de Norman Campbell. Satisfaite de son travail, l’actrice/chanteuse lui confie dans la foulée un travail autrement plus complexe : le design de toutes les créatures de The Wiz, version noire du Magicien d’Oz dans lequel Diana Ross partage notamment la vedette avec Michael Jackson. Aux personnages traditionnels du conte de L. Frank Baum relookés pour l’occasion (l’Épouvantail, l’Homme en fer-blanc, le Lion), Winston doit ajouter une armée de singes volants qui lui permettent d’aborder pour la première fois les bases de l’animatronique.
La petite guerre des étoiles
Juste après The Wiz, Winston est missionné pour une tâche délicate : succéder au maquilleur Stuart Freeborn pour le téléfilm «Au Temps de la Guerre des Etoiles», une séquelle télévisée du space-opera de George Lucas où l’intégralité du casting original fait une apparition. Dans les séquences d’ouverture et de conclusion, la famille de Chewbacca apparaît pour fêter son anniversaire. C’est là que Winston intervient, récupérant la tête originale de la créature velue, conçue par Freeborn, et l’équipant de mécanismes articulés. Si Le Droit de Tuer, un «vigilante movie» de James Glickenhaus, est plutôt anecdotique, il permet au maquilleur de poursuivre ses expérimentations en concevant une décapitation réaliste pour un flash-back situé pendant la guerre du Vietnam. Puis vient, en 1981, Réincarnations, une histoire de zombies particulièrement originale pour laquelle le réalisateur Gary Sherman réclame des maquillages très élaborés. Ainsi assiste-t-on en plan-séquence à l’embaumement d’un cadavre, aux agitations d’un homme calciné (l’acteur étant remplacé par une marionnette hyperréaliste) ou à divers effets de décomposition sur le visage et le corps des comédiens.
La même année, Allan Arkush réalise Heartbeeps, une comédie mettant en vedette une famille de robots. Ayant gardé en mémoire l’Homme en fer-blanc de The Wiz, les producteurs engagent Winston pour transformer les comédiens Bernadette Peters et Andy Kaufman en sympathiques automates. Il y parvient avec des prothèses en gélatine. Par rapport à la mousse de latex, ce matériau présente l’avantage de s’appliquer plus rapidement et de posséder une transparence et une souplesse très réalistes. En contrepartie, une exposition trop prolongée à la chaleur des projecteurs ou à la transpiration des comédiens finit par le faire fondre. Winston manque de peu l’Oscar des maquillages spéciaux cette année-là, coiffé au poteau par les superbes métamorphoses de Rick Baker sur Le Loup-Garou de Londres. En 1982, Winston vient prêter main-forte à Rob Bottin, alors au bord de la crise de surmenage, sur le tournage de The Thing de John Carpenter. Sa mission consiste à visualiser la transformation d’un chien possédé par la Chose extraterrestre. Très spectaculaire, cette séquence lui permet d’affiner son savoir-faire dans le domaine des effets mécaniques. Son travail suivant, sur l’éprouvant film de fantôme L’Emprise de Sidney J. Furie, lui fait faire un nouveau bond en avant. Pour les besoins d’une scène où Barbara Herschey est violée par une entité invisible, il conçoit un corps féminin hyperréaliste doté de mécanismes permettant de simuler des empreintes de mains invisibles sur les seins. Le résultat à l’écran est ahurissant.
Cyborg m’était conté…
Ainsi, après avoir été catalogué «maquilleur des acteurs noirs», Winston est devenu, au fil des ans, le «spécialiste des robots et des maquillages mécaniques». En toute logique, cette nouvelle étiquette lui vaut d’être engagé par le jeune James Cameron sur un petit film de science-fiction aux grandes ambitions : Terminator. Ici, le défi est de taille. Ainsi Winston doit-il maquiller Arnold Schwarzenegger pour visualiser la dégradation progressive de sa peau et l’apparition de composants électroniques, mais aussi concevoir un bras et plusieurs têtes mécaniques à l’effigie du massif comédien autrichien, ainsi qu’un squelette mécanique grandeur nature entièrement articulé. Ancien directeur artistique et homme d’effets spéciaux, Cameron donne à Winston une idée précise de ses intentions visuelles en lui livrant de magnifiques dessins de son cru. Winston se lance alors avec son équipe dans la fabrication d`un modèle grandeur nature du squelette en epoxy et en fibre de verre moulé autour d`une armature en acier, fruit de six mois de labeur. Pendant le tournage, un manipulateur porte cette marionnette sur ses épaules et anime son bras tandis qu`un autre opérateur met en mouvement la tête par radiocommande. Pour les plans larges, c’est une figurine miniature animée image par image qui prend le relais. Terminator est un film-clef dans la carrière de Stan Winston, lui offrant l’opportunité de créer son propre studio et de tisser des liens étroits avec James Cameron.
Avant de retrouver ce dernier sur Aliens, il met son talent au service de Tobe Hooper pour L’Invasion vient de Mars, remake d’un classique de la SF des années 50 réalisé par William Cameron Menzies. S’éloignant du concept original d’extraterrestres humanoïdes aux yeux exorbités, il imagine des créatures qui défient toutes les lois anatomiques et rendent difficilement décelable la présence des comédiens sous leur costume animatronique. Massifs, courts sur pattes, affublés de bras démesurés et d’immenses gueules garnies de dents, ils témoignent d’une belle inventivité. Pour Aliens, la difficulté consiste principalement à rivaliser avec le chef-d’œuvre de Ridley Scott sans en trahir le concept. La première préoccupation de Cameron et Winston consiste à doter les aliens d’une plus grande liberté de mouvement que Bolaji Badejo, l’interprète original d’Alien, engoncé à l’époque dans une lourde combinaison en latex de Carlo Rambaldi d’après les designs de H.R. Giger. Ils y parviennent, en faisant porter aux cascadeurs des justaucorps recouverts de prothèses en mousse de latex. Mais Aliens demeure surtout mémorable pour sa reine extraterrestre, un monstre de quatre mètres de haut que le réalisateur filme de la même manière que le squelette de Terminator : une figurine miniature (cette fois animée avec des baguettes) pour les plans larges, et une marionnette grandeur nature pour les plans serrés. Cette imposante création mécanique nécessite la présence de quatorze manipulateurs et de deux opérateurs l’animant de l’intérieur. Grâce à Aliens, Winston remporte pour la première fois un Oscar.
Arnold Vs. Predator
En 1987, il est sollicité par Fred Dekker pour The Monster Squad, dans lequel un groupe d’adolescents affronte le comte Dracula, un monstre de Frankenstein, une momie, un loup-garou et un homme poisson. Pour ce film récréatif conçu comme un clin d’œil aux «Monster Movies» à l’ancienne, Winston doit faire fonctionner son imagination, dans la mesure où il ne peut imiter les maquillages de Jack Pierce et Bud Westmore, toujours sous copyright chez Universal. La même année, une autre œuvre maîtresse s’ajoute à sa filmographie : Predator de John McTiernan. Le concept de base est simple – un chasseur extraterrestre choisit pour cible un commando de marines dirigé par Arnold Schwarzenegger – mais la mise en scène impeccable du réalisateur de Die Hard hisse Predator au rang de classique, et Winston conçoit à l’occasion un alien rasta insolite. Son faciès de crustacé et son armure tribale le transformeront illico en icône du cinéma de SF. C’est l’athlétique Kevin Peter Hall qui endosse le costume animatronique de l’extraterrestre, après des essais non concluants effectués avec un jeune acteur belge nommé… Jean-Claude Van Damme !
Un an plus tard, Stan Winston réalise son premier long-métrage : Le Démon d’Halloween. C’est la suite logique de son implication dans les films des autres, d’autant qu’il fut lui-même réalisateur de seconde équipe pour Terminator et Aliens. Dans cet essai franchement concluant, un fermier interprété par Lance Henriksen réveille un ancien démon pour venger la mort accidentelle de son jeune fils. Haut de près de trois mètres, le crâne hypertrophié, les doigts griffus et les os saillants, le monstre – dont Winston délègue la création aux membres de son studio – répond au doux surnom de «Pumpkinhead». Superbe, il est entré au panthéon des créatures légendaires du cinéma d’horreur. Sa morphologie possède bien des points communs avec le prédateur d’Alien, et Winston, qui fut à la bonne école, le filme de manière fort similaire, fractionnant par le cadrage le dévoilement de son anatomie et le plongeant dans une pénombre constante. Notre homme n’abandonne pas pour autant son métier premier, s’attelant aussitôt aux effets spéciaux de Futur Immédiat de Graham Baker et Leviathan de George Pan Cosmatos. Pour le premier, il conçoit des prothèses crâniennes transformant des centaines d’acteurs en extra-terrestres anthropomorphes. Pour le second, il imagine un monstre empruntant sa morphologie à diverses créatures marines et s’inspirant partiellement des abominations décrites par H.P. Lovecraft.
Métal hurlant
Son travail sur Predator 2 de Stephen Hopkins (1990) lui permet d’affiner un peu les concepts qu’il créa pour John McTiernan. Légèrement différent de celui du film précédent, plus svelte et dynamique, le nouveau Predator (toujours interprété par le colosse Kevin Peter Hall) ajoute à son habituel arsenal (rayon laser, sabre et javelot) des espèces de projectiles ninja en forme de CD aux fort destructeurs impacts. Les spectateurs à l’œil attentif remarquent dans la salle des trophées du Predator une tête d’extra-terrestre fort similaire à celle d’Aliens. 1990 marque aussi la première rencontre de Stan Winston avec Tim Burton, à l’occasion d’Edward aux Mains d’Argent. Johnny Depp y incarne un robot au teint blafard, aux cheveux hérissés et au regard un peu perdu, dont le look n’est pas sans évoquer les membres du groupe Cure. Winston doit traduire les dessins de Burton pour rendre crédible ce personnage fantaisiste à l’écran, mais aussi le doter de tout un arsenal de ciseaux et de couteaux en guise de mains, à l’aide d’accessoires en matière plastique savamment mécanisés. On pourrait croire dès lors Winston rompu à toutes les expériences, mais c’est compter sans James Cameron, qui lui demande une nouvelle fois de se surpasser en 1991 pour son monumental Terminator 2.
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la présence importante d’effets numériques et d’images de synthèse n’allège pas le travail de Winston mais le multiplie au contraire, dans la mesure où il est chargé de compléter par des maquillages et des effets animatroniques toutes les séquences sollicitant de la 3D. Une partie de ces effets, comme dans le premier Terminator, consiste à visualiser les blessures subies par le cyborg au cours de l’action, les prothèses sur Schwarzenegger étant progressivement remplacées par des fausses têtes d’un troublant réalisme. Quatre squelettes métalliques représentant le Terminaor à nu sont également construits pour l’impressionnante séquence d’ouverture du film. Mais Winston doit également s’occuper du T-1000, ce fameux robot en métal liquide, incarné par Robert Patrick, qui est capable de fondre pour adopter toutes les formes possibles et imaginables. Prenant le relais des trucages digitaux d’ILM pour certains plans serrés, il conçoit ainsi des marionnettes grandeur nature visualisant le cyborg dans de bien piteux états : le corps fendu en deux, la tête déchirée ou le visage perforé !
Pingouins et dinosaures
La deuxième expérience de réalisateur de Stan Winston est moins convaincante que Le Démon d’Halloween. Il s’agit de A Gnome Called Gnorm, une comédie fantastique dans laquelle un gnome qui vit sous terre rejoint notre monde et tente de faire arrêter un meurtrier. La créature du titre, interprétée tour à tour par une quinzaine de comédiens différents, porte un casque animatronique le dotant d’une large variété d’expressions. Puis ce sont les retrouvailles avec Tim Burton, pour Batman le Défi en 1992. Cette fois, Stan Winston est chargé d’interpréter les dessins du cinéaste afin de donner corps au super-vilain le Pingouin incarné par Danny de Vito. Des prothèses faciales le dotent d’un faciès d’oiseau tandis que son corps double de volume grâce à un costume spécial. Winston et son équipe créent également pour le film toute une armée de pingouins factices. Mais le plat de résistance de la carrière de Winston reste à venir, et c’est Steven Spielberg qui le lui confie : il s’agit de Jurassic Park.
Si le réalisateur n’a pas gardé une très bonne expérience des créatures mécaniques grandeur nature à cause des Dents de la Mer, il est conscient que les techniques ont depuis évolué, et envisage même dans un premier temps ne recourir qu’à l’animatronique pour l’ensemble des dinosaures de son film. Mais cette technique ne permettant guère de visualiser des marches et encore moins des courses en plans larges, une méthode mixte est adoptée : toutes les actions des dinosaures en relation proche avec les comédiens sont obtenues avec des marionnettes grandeur nature mues par divers mécanismes (œuvre de Winston et son équipe) tandis que les actions en plan large font appel aux images de synthèse (dirigées par Dennis Muren), tandis que Phil Tippett s’assure de la cohésion comportementale entre tous les dinosaures et que Michael Lantieri règle les effets mécaniques simulant l’interaction des créatures avec le décor. Le résultat, on le sait, est absolument stupéfiant, et un nouvel Oscar atterrit dans les mains de Winston, ce dernier partageant la statuette avec Muren, Tippett et Lantieri.
La galerie des monstres
Désormais, il ne se passe pas une année sans que Winston et son équipe ne créent l’événement en participant à un film fantastique marquant. A sa galerie de créatures s’ajoutent ainsi des imitations très crédibles d’animaux bien réels (les singes de Congo, les lions de L’Ombre et la Proie, le crocodile de Lake Placid), de nouveaux dinosaures titanesques (avec Le Monde Perdu et Jurassic Park 3 pour lequel il conçoit un spinosaure grandeur nature de douze mètres de long), des robots toujours plus performants (le cyber-policier extensible d’Inspecteur Gadget, des fausses têtes encore plus réalistes pour Terminator 3, toute une galerie d’androïdes dans des états de délabrement plus ou moins avancé pour A.I.) ainsi que des créations franchement insolites. Comment qualifier autrement les magnifiques jouets vivants de Small Soldiers, les kangourous anthropomorphes de Tank Girl ou les «humanimaux» troublants de L’Île du Docteur Moreau ?
Poursuivant ses expériences de réalisateur, Stan Winston s’est vu confier Terminator 2 3D, le film dynamique conçu pour les parcs d’attractions Universal, ainsi que Ghost, un clip de Michael Jackson riche en effets spéciaux de maquillage. Winston alterne d’ailleurs volontiers les grosses créations animatroniques avec des travaux de maquillage plus «légers» mais tout autant impressionnants. À ce titre, on se souvient du teint blafard des héros d’Entretien avec un Vampire ou de l’hideuse «fée des dents» de Nuits de Terreur. En 2001, Winston ajoute une corde à son arc en devenant producteur. Il initie ainsi une série de téléfilms d’épouvante inspirés de séries B des années 50 dont ils reprennent les titres originaux (Earth Vs. The Spider, How to Make a Monster, The Day the World Ended, She Creature, Teenage caveman), ainsi que des films d’horreur destinés au grand écran (le plus fameux d’entre eux étant le survival Détour Mortel de Rob Schmidt).
Stan Winston s’est éteint à son domicile, le 15 juin 2008, après avoir lutté durant plusieurs années contre la maladie. L’un de ses derniers travaux aura été le
le magnifique design de l’armure d’Iron Man d’après le comics créé par Stan Lee et Jack Kirby.
Gilles Penso