Ne faites pas de mal aux animaux sinon ils risquent de vous le rendre — telle est la morale biblique d’une fable dont la réussite doit beaucoup à ses personnages principaux, d’un réalisme étonnant
Retour aux sources par Rupert Wyatt, avec James Franco, Freida Pinto, John Lithgow, Andy Serkis (USA, 2h)
Will Rodman, jeune scientifique, a mis au point pour un laboratoire un sérum capable d’agir sur la maladie d’Alzheimer. Bien entendu les expériences in vivo sont perpétrées sur des animaux de laboratoire, en l’occurrence des chimpanzés. Le bébé d’une femelle qui a dû être abattue parce qu’elle voulait protéger son petit est recueilli et élevé par Will, qui a maille à partir avec sa hiérarchie. Génétiquement transformé, César, à cinq ans, acquiert l’intelligence d’un garçon du double de son âge. De lui viendra la révolte. Tardive préquelle au chef-d’œuvre de Franklin J. SCHAFFNER (1968), film tiré du roman de Pierre BOULLE, cette plongée aux origines du mythe se bat sur plusieurs fronts, ce qui le menace d’un certain écartèlement. Mais la force du propos, et surtout la mobilité d’expression toute humaine des singes, due à la méthode de la performance capture (on filme de véritables acteurs, aux traits ensuite modifiés numériquement), emportent aisément le torrent.
Le mal pour le bien
Le métrage se sépare assez nettement en deux parties. Dans la première, la plus longue, intimiste et plutôt touchante, l’accent est mis sur l’éducation et les soins, Will devant s’occuper à la fois de César, enfant singe qui apprend, et de son père qui, atteint d’Alzheimer, ne cesse de désapprendre. Un parallélisme se doublant, dès lors que César, considéré comme dangereux parce qu’il a agressé un passant pour défendre le vieil homme, d’un tout autre système éducatif : celui du zoo où le jeune prodige est enfermé, brutalisé, l’univers douillet de la maison de Will cédant la place à de sombres sous-sols emplis d’étroites cages métalliques où claquent les verrous et les coups de fouets. Dans la deuxième partie, plus brève, plus convulsive, où des hordes de singes échappés (un peu nombreux sans doute — mais d’où peuvent-ils bien sortir ?) envahissent San Francisco, c’est l’action qui prend le dessus, portée par des effets spéciaux stupéfiants de réalisme et une mise en scène qui sait les mettre en valeur. Citons cette pluie de feuilles tombant brusquement, à la surprise des passants, dans une allée paisible parce que les singes, à peine aperçus en ombres chinoises, volent au-dessus d’eux de branche en branche ; ou cette brusque apparition des chimpanzés sur la crête d’un mur, tels les Apaches dans un film de John FORD, et qui se mettent à charger ; ou encore, en plein milieu du Golden Bridge envahi de brume, la cavalcade d’un cheval fou annonçant le surgissement des anthropoïdes…
Le signe des singes
Ce visuel, aussi frappant qu’il soit, n’est pas le seul atout d’une revisitation tentant d’aborder nombre de questions sans forcément y apporter de réponse, mais en usant de références à la pelle. Par exemple le mythe de Frankenstein. Ou encore la mise en accusation des expérimentations animales, débordant sur un parallélisme tentant avec le problème des minorités maltraitées qui se vengent aveuglément (cf. la Grande-Bretagne aujourd’hui). Une assemblée de singes ânonnant des directives énoncées par César évoque les humanimaux de L’île du docteur Moreau, tandis que le premier mot prononcé par notre héros, Non ! appelle La Ferme des animaux de George ORWELL. D’autres indices parlent d’eux-mêmes, ainsi de cette séquence où César, croisant un chien en laisse comprend que, malgré les attentions dont son maître l’entoure, n’est qu’un animal domestique puisque lui-même, comme chez monsieur de LA FONTAINE, porte le collier. La séquence sans doute la plus réussie voit le directeur du labo, blessé, et sur le point de tomber du pont, tendre la main à un chimpanzé pour être secouru. Mais il s’agit d’un vieil animal de laboratoire qui a connu le pire. Le singe regarde l`homme dans les yeux et, impassible, le pousse dans le vide. La caméra demeure un long moment sur sa face couturée de vieux chat pelé, son œil borgne, ses cicatrices de martyr de la science. Un plan qui scelle la morale d’une œuvre où tout est signe, ce qui est une autre façon de dire que tout est singe.
Jean-Pierre Andrevon
La note de J.-P. A : 8/10